vendredi 7 novembre 2008

Un point d'Histoire locale




Le rapport Picasso
La bombe qui mettait fin à la monarchie espagnole en 1931




Prologue

Cette note a été élaborée sur la base d’une bibliographie exclusivement en langue castillane. En effet, le Rapport Picasso n’apparaît dans aucune langue autre qu’espagnole. A ce jour, il est tout juste évasivement cité dans un ouvrage britannique[1].
S’il on peut s’étonner que la bibliographie française soit aussi muette sur le sujet, sans doute faudrait-il en chercher l’origine dans la fabuleuse occultation voulue en France de l’histoire du Maroc par ses élites politiques et parfois aussi universitaires. L’autre raison qui pourrait être invoquée serait la surprenante faiblesse des recherches universitaires françaises sur l’étude de l’Espagne contemporaine. Contrairement aux Britanniques, les hispanistes et historiens français de l’Espagne n’ont toujours pas compris qu’entre 1859 et la fin du XXe siècle, bien des clés de la compréhension de l’Espagne contemporaine se trouvent au Maroc. Ces mêmes Britanniques qui ont si bien su mettre en lumière les origines africaines du franquisme[2] connaissent trop peu le Maroc pour étendre leurs soupçons sur une période beaucoup plus large que les quarante années de dictature et qui anticipe largement le franquisme. L’Espagne politique officielle a bien été africaniste et l’Espagne économique ou diplomatique l’est encore largement de nos jours, ce que la recherche universitaire française du monde ibérique s’obstine à toujours ignorer.
En Espagne, la place du Rapport Picasso dans les mentalités collectives ne serait à comparer, toutes proportions gardées, qu’avec l’Affaire Dreyfus en France. Elle révèle comme cette célèbre série d’affaires militaro-judiciaires, tous les clivages sociaux ou politiques d’une société aux structures rurales et aristocratiques dans son passage douloureux vers une société aux structures industrielles, urbaine et bourgeoises.
Cette bibliographie espagnole est cependant assez mince. La recherche historique espagnole se relève tout juste de l’addition des sept ans de la dictature du général Primo de Rivera (1923-1930), de l’année supplémentaire de la Dictablanda du général Berenguer Fusté et des quarante ans de franquisme (1936-1976).
Cette faiblesse bibliographique est la preuve évidente de l’occultation calculée de l’Histoire par des acteurs politiques espagnols qui se dérobent devant leurs responsabilités alors qu’en d’autres lieux les politiciens sont seulement soupçonnés de préférer jouer sur la manipulation des faits historiques pour justifier leur présence sur les planches des scènes parlementaires ou exécutives.
Voici cette bibliographie visitée pour dresser ce bref constat de la mutilation volontaire par le pouvoir politique d’une pièce majeure des sources de l’Histoire d’une grande nation européenne.



I - Les sources centrales:

a
Abad de Santillán (Diego)
«El Expediente Picasso»
Ed. Frente de Afirmación Hispanista, Buenos Aires, 1976

(Diego Abad de Santillán, de son vrai nom García Fernández (Sinesio Baudilio étant ses vrais prénoms), fut un membre important du mouvement anarcho-syndicaliste espagnol puis argentin. Réfugié en France après la Guerre Civile, il s’installe en Argentine pour rentrer en Espagne quelques années avant son décès. Il meurt à 86 ans à Barcelone en 1983. Ses recherches économiques sur la monnaie ont été partout saluées même par les tenants de l’idéologie libérale tant elles sont d’une grande rigueur. Il a publié en Argentine de nombreux ouvrages forts intéressants sur l’histoire contemporaine de l’Espagne. Parmi ceux-ci, la première publication du fameux «Resumen del Excmo. Sr General de División Don Juan Picasso González, del expediente entregado al Consejo Supremo de Guerra y Marina»).

b
Picasso González (Juan)
«Resumen del Excmo. Sr General de División Don Juan Picasso González, del expediente entregado al Consejo Supremo de Guerra y Marina»
Ed.: Almena Ediciones, Madrid, 2003

(C’est à ce jour la seule publication sur le sujet qui soit disponible en Espagne actuellement sur le sujet)

II – Les sources annexes:

a
Prieto Tuero (Indalecio)
«El desastre de Melilla.
Dictámen de la minoria socialista
Discurso de Indalecio Prieto pronunciado en el Congreso de los diputados los días 21 y 22 de noviembre de 1922, al examinarse el expediente instruido por el general Picasso sobre los sucesos acaecidos en el territorio de Melilla durante los meses de julio y agosto de 1921»
Ed. Sucesión de Rivadeneyra, Madrid, 1922

(Indalecio Prieto Tuero, dirigeant du Parti Socialiste Espagnol (PSOE), tel Léon Blum en France, récusa l’éventualité d’intégrer son parti à la IIIe Internationale. Lors de ses interventions parlementaires lors des évènements de Melilla et d’Anoual, il attaqua frontalement Alphonse XIII de Bourbon Habsbourg-Lorraine dont chacun savait l’implication mais il ne contacta jamais Picasso González pour essayer d’obtenir des éléments qui pouvaient prouver ses allégations).

b

Niceto Alcalá-Zamora Torres (Niceto)
«El expediente Picasso.
Discursos de Don Niceto Alcala-Zamora y Torres pronunciados en el Congreso de los Diputados los dias 24 y 28 de Noviembre de 1922»
Tipografía Moderna, Madrid, 1923

(Niceto Alcalá-Zamora Torres est un juriste et homme politique à l’origine conservateur proche de García Prieto. Il prend ses distances avec la monarchie dès qu’il sent le vent tourner. Quand Alphonse XIII de Bourbon Habsbourg-Lorraine doit se sauver, il devient chef du gouvernement provisoire et sera de 1931 à 1936, le seul et unique Président de la Seconde République espagnole).

c

Madrid Santos (Francisco)
«El expediente Picasso.
Las acusaciones oficiales contra los autores del derrumbamiento de la Comandancia de Melilla y el desastre de Annual»
Ed. Talleres Costa, Barcelona, 1922

(Francisco Madrid Santos était un historien universitaire espagnol qui est connu en France pour avoir publié dans certaines revues spécialisées sur le mouvement ouvrier en Espagne dans les années 1920 et 1930).



En 1976, parut à Buenos Aires une édition d’un document d’origine espagnole connu sous le nom de El Expediente Picasso[3]. Interdit en Espagne, les librairies, même sous le manteau, ne purent le diffuser puisque la police politique franquiste avait été chargée de bloquer ce titre aux frontières. Franco Bahamonde était pourtant bien décédé le mois de novembre précédent, mais toute l’Espagne restait suspendue à ce qui pourrait lui advenir sans avoir encore de réponse. Dernier Président du Gouvernement nommé par Franco, Carlos Arrias Navarro tenait toujours les manettes du Pouvoir. La Movida espagnole n’était pas encore enclenchée.
Mais qu’est donc cet Expediente Picasso?
Si le nom de Picasso[4] est célèbre hors d’Espagne, c’est pour les œuvres de Pablo Ruiz Picasso, neveu du général espagnol auteur de ce monument longtemps méconnu en Espagne bien qu’il fut à l’origine d’un grand scandale politique, document qui est toujours ignoré en France. Traduit en français, le titre de cet ouvrage devrait être «Rapport Picasso», un document militaire remis au Conseil suprême de la Guerre et de la Marine le 21 avril 1922 à Madrid. A première vue, une littérature qui ne devrait pas passionner même les lecteurs les plus fervents à l’affût des dernières productions éditoriales. Il ne s’agissait d’ailleurs nullement à l’époque d’une sortie d’une maison d’édition, mais d’une incroyable masse de papiers constituée, selon le rapport du juge militaire qui le reçu le 26 juin 1922 de:
- dix pièces principales formant un total de 2 148 feuillets
- une annexe de 82 feuillets relative à un régiment portant le nom de «Regimiento de Ceriñola núm. 42»
- une annexe de 203 feuillets consignant certaines déclarations de personnes interrogées par le général de division Juan Picasso González.
Le rapport final dactylographié accompagnant toutes ces pièces est intitulé «Resumen del Excmo. Sr General de División Don Juan Picasso González, del expediente entregado al Consejo Supremo de Guerra y Marina», comprenait les feuillets numérotés de 2 171 à 2 417, il était daté du 18 avril 1922.
Voilà pour sa forme originelle.

Le rédacteur

Juan Picasso González est né à Malaga le 22 août 1857 dans une famille de petite bourgeoisie qui peine à joindre les deux bouts mais qui avait eu accès à l’éducation ce qui lui avait permis de se présenter à dix neuf ans, en 1876, au concours de l’Académie Militaire de l’Etat-Major, une prouesse pour un jeune homme qui n’était pas issu de la haute aristocratie monopolisant ce type de formation. De là, il devint officier de cavalerie, un corps toujours réservé au señoritos des grandes familles espagnoles. Il fut nommé à Melilla qui représente une base d’appui à la première pression physique de l’Espagne sur le Maroc oriental après la Guerre d’Afrique de 1859 dans le Maroc occidental. A cette époque, nous sommes là en 1893, les frontières de Melilla sont l’objet de contestation par les Berbères musulmans du voisinage, celle des tribus des Béni-Chiker environnantes. Les Espagnols construisaient en effet un fort sur l’emplacement d’un lieu de pèlerinage musulman (un marabout) dont le terrain leur avait été attribué par le Traité de Oued Ras avec le sultan de Fez (1860) que les Berbères de la région ne reconnaissaient pas comme souverain. En 1893, s’en suivi une guerre locale qui est connue en Espagne sous le nom de Guerre de Margallo, nom du général commandant la place de Melilla.
Alors qu’un autre fort de Melilla (le fort de Cabrerizas Altas où périra le général Juan García Margallo) est encerclé par les Béni-Chiker, voisins berbères immédiats de Melilla, Picasso González, à l’époque commandant, réussit une sortie pour rejoindre le plus grand fort de défense de Melilla, le fort de Rostrogordo, solide position où il pouvait demander des renforts. Décoré pour ces faits d’armes, il fut nommé deux ans plus tard (en 1895), lieutenant-colonel, puis colonel en 1902 avant d’être nommé général de brigade en 1915. Une très belle carrière militaire pour un non-aristocrate, une rareté même à cette époque. En 1920, donc après la Première Guerre Mondiale où l’Espagne était restée neutre, il fut nommé comme représentant de l’Espagne à la Commission Permanente Consultative pour les Affaires Militaires, Navales et Aériennes de la Société des Nations à Genève. Il fut même nommé général de division en février 1921. Le général Picasso s’y était taillé une réputation d’irréprochable intégrité, de grand sérieux et de rigueur tout aussi irréprochable. Rares étaient les officiers généraux espagnols qui présentaient tous ces aspects si positifs réunis. Par toutes ces qualités, il finit par être considéré comme le seul militaire de haut rang pouvant être catalogué comme un expert solide et reconnu par tous. Tel est le portrait rapide qu’on peut tirer de Juan Picasso González au moment où l’Espagne va connaître la plus cuisante défaire militaire de son histoire: la bataille d’Anoual en juillet 1921. Il terminera sa carrière avec le grade de général de corps d’armée (teniente general en castillan) en 1925 alors qu’il est mis en seconde réserve, un corps où sont placés d’autorité les généraux de première réserve trop gâteux (ce qui n’est pourtant pas le cas de Picasso) pour qu’ils ne risquent pas d’être remobilisés en cas de conflit. En fait, le régime, inspiré et soutenu par la clique militariste aristocratique, mettait Picasso hors d’état d’intervenir alors qu’il était considéré comme gênant, ce que nous verrons tout à l’heure.
Picasso González décède à Madrid le 5 avril 1935 sous la Seconde République espagnole.


Le contexte: Anoual, une terrible déroute militaire espagnole

A 60 km à l’Ouest de Melilla, presque devant le peñon d’Alhucemas, un autre préside espagnol des côtes méditerranéennes du Maghreb, Anoual est un petit village qui était bien sans intérêt et totalement ignoré jusqu’en 1921. Sis au milieu des terres des Aït Ouriaguel, une des tribus qui s’étaient soulevées contre la présence espagnole sur un protectorat qu’elle avait obtenu en 1912 sans pouvoir y établir son autorité, l’armée d’Espagne allait s’écrouler devant une coalition de Berbères mal équipés le 22 juillet 1921. Le triomphe de la geste coloniale européenne recevait là un colossal camouflet qui fera date au XXe siècle, au même titre que, trente trois ans plus tard, la célèbre bataille de Diện Biên Phủ au Tonkin qui mit en déroute les armées coloniales françaises le 7 mai 1954. Anoual et Diện Biên Phủ représentent bien l’α et l’ώ de la lutte militaire anti-coloniale.
A Anoual s’affrontèrent deux armées composées l’une et l’autre d’environ 18 000 hommes chacune. Les Espagnols estimèrent leurs pertes à 13.363 morts ou disparus, les pertes des Berbères à 1000 hommes environ. L’opposition politique affirmait qu’il fallait monter au-delà de 20 000 morts espagnols, chiffres qui semblent d’ailleurs plus proches de la réalité. Pour l’Espagne, cette incroyable défaite allait avoir d’immenses conséquences politiques sur le long terme. Sur le court terme, elle ouvrait la première vraie guerre de décolonisation: la Guerre du Rif (1921-1926).


Les faits

Le 12 février 1920, le général Manuel Fernández Silvestre, un proche d’Alphonse XIII, est nommé à la tête de la Comandancia General de Melilla, vieille ville espagnole d’Afrique devenue depuis peu l’un des joyaux de la couronne industrielle de l’Espagne pour ses activités liées à la sidérurgie. Le général Manuel Fernández Silvestre est en outre très lié à Dámaso Berenguer Fusté, Haut Commissaire espagnol du protectorat dont le siège est à Tétouan, donc le pendant espagnol de Lyautey qui lui siège à Rabat. Les liens entre Fernández Silvestre et Berenguer Fusté se sont cependant distendus depuis la nomination de ce dernier à la tête du protectorat à Tétouan. Berenguer Fusté est lui-même membre des sommets de la machine étatique espagnole. Ministre de la Guerre en 1918 sous le ministère Garcia Prieto, il est issu de l’aristocratie coloniale des grands planteurs esclavagistes de Cuba rapatriés en Espagne en 1898, c’est encore un proche de Primo de Rivera, le futur dictateur dirigeant le pays suite au tremblement de terre d’Anoual, c’est encore un autre proche d’Alphonse XIII dont il deviendra d’ailleurs chef de la Maison Militaire au Palais Royal. Bref, c’est un membre plus qu’éminent de la nomenklatura espagnole du moment.
Toutes les sources convergent pour affirmer que, si Berenguer Fusté dispose d’une intelligence normale, celle de Fernández Silvestre friserait plutôt certaines déficiences qui l’auraient partout ailleurs exclu d’une quelconque activité professionnelle de décision. Le personnage ne manque pourtant pas d’une certaine conviction de son génie militaire et ne se prive pas de le proclamer haut et fort. Sa suffisance est de notoriété publique mais ses liens avec la source effective du Pouvoir dispensent tous les autres d’oser en faire la remarque… du moins publiquement. Un historien espagnol[5] soulignait récemment ces liens très forts entre Fernández Silvestre et Alphonse XIII: «En 1921 el rey y el general Silvestre, a espalda del gobierno y del ministerio de Guerra, emprendieron por su cuenta una arriesgadísima operación “pacificadora” en el Rif. De aquella aventura resulto un desastre sin precedentes: doce mil muertos y mil quinientos prisioneros. Los moros destrozaron el ejército español y se presentaron a las puertas de Melilla, la que no ocuparon por falta de decisión. El mismo general Silvestre, que había prometido al rey regalarle una gran victoria, pereció también en la empresa. Entre sus papeles fueron encontrados documentos muy comprometedores para la regia persona. Estos documentos eran la base del famoso expediente Picasso, que era el proceso del rey por su Parlamento. Como quería, que la suerte del monarca estaba íntimamente ligada a la del ejercito, juntos tramaron el golpe de Estado que había de evitarlos escándalo. El dogma de la intangibilidad produjo la dictadura». (En 1921 le roi et le général Silvestre, dans le dos du gouvernement et du ministère de la Guerre, entreprirent pour leur propre compte une opération des plus risquées de «pacification» dans le Rif. De cette aventure résulta une catastrophe sans précédent: douze mille morts (sic) et mille cinq cents prisonniers. Les Maures défirent l'armée espagnole et parvinrent jusqu’aux portes de Melilla que, par seul manque de décision, ils n’occupèrent pas. Le même général Silvestre, qui avait promis au roi de lui offrir une grande victoire[6], périt dans l'entreprise. Des documents très compromettants pour la personne du roi furent retrouvés. Ces documents constituaient la base du célèbre Rapport Picasso, qui s’acheminait vers un procès du roi par son propre Parlement. Comme on voulait que le sort du monarque fût intimement lié à celui de l’armée, c’est ensemble qu’ils fomentèrent le coup d'État pour échapper au scandale. C’est bien le dogme de l'intangibilité qui a produit la dictature).
Sur son ancien poste où il dirigeait alors la Comandancia Militar d’Asilah (au Sud de Tanger), il avait été relevé de ses fonctions après l’assassinat suspect d’un notable marocain pourtant collaborateur du protectorat espagnol. Outre ses capacités limitées, le personnage sentait le souffre. Estimant encore que le Haut Commissariat de Tétouan attribué à Berenguer Fusté devait lui revenir, il pensait ne pas devoir tenir compte des instructions de son supérieur hiérarchique, certain qu’il était d’être toujours couvert par Alphonse XIII. Ainsi, en dépit des recommandations du Haut Commissaire, Fernández Silvestre prend seul la décision, en janvier 1921 d’entamer un déploiement militaire dans le Rif pour mettre un terme à la résistance des tribus berbères rifaines dirigées par Abdelkrim. L’entreprise était effectivement très risquée alors que les troupes espagnoles sont mal entraînées, mal nourries, mal équipées[7], souvent recrutées de force et sous-payées. Au bord de la démoralisation, ces mêmes troupes vivaient dans la terreur des Rifains dont on connaissait les méthodes guerrières assez expéditives avec leurs prisonniers. Depuis son arrivée à Melilla, Silvestre mettait donc sur pied les plans d’une avancée spectaculaire vers l’intérieur du Rif où encore aucun Européen n’avait mis les pieds, tentant de faire accroire partout qu’il atteindrait la baie d’Alhucemas et mettrait un terme aux troubles sanglants du Maroc espagnol[8].
En mai 1921, les forces espagnoles se distribuaient sur cent quarante quatre postes et petits forts sur une zone déployée de cent trente kilomètres de long. Une partie des troupes étaient mobilisées par des tâches purement bureaucratiques. Les forts occupaient les points hauts mais il fallait les alimenter en eau par une noria de mulets et la distance entre ces fortins variait de vingt à quarante kilomètres. Ils étaient en fait des proies faciles face aux détachements légers des Berbères. Quant aux conditions de vie des soldats, elles étaient des plus désastreuses entre les chaleurs suffocantes du jour et le froid de la nuit, les poux et les rats envahissant leurs campements.
Les forces d’Abdelkrim[9] attaquent le 17 juillet la position espagnole d’Igueriben qui tombe le 22 juillet après cinq jours de siège. Le jour même, c’était le tour d’Anoual sous le commandement de Silvestre en personne. En quelques heures, la place tombait. Silvestre, dans la débâcle générale, se suicidait. Le 9 août, la position de Monte Arroui, toute proche de Melilla (c’est aujourd’hui l’emplacement de l’aéroport de Nador), tombait à son tour sous la pestilence des cadavres espagnols entassés là par milliers sous la chaleur. En Espagne, le choc de la nouvelle est immense et les photos parues dans les journaux nationaux et régionaux de la boucherie de Monte Arroui consternent tous les Espagnols. En 1921, l’instabilité ministérielle, déjà traditionnelle, s’installe dans la frénésie. Le Gouvernement de Manuel Allendesalazar Muñoz de Salazar donne sa démission. Alphonse XIII nomme alors le chef de file de ces cyniques de la politique espagnole qui hantent depuis longtemps les couloirs des ministères, le célébrissime et richissime comte de Romanones[10] dont chacun savait, outre la puissance de son arrogance, que ses comptes bancaires étaient royalement alimentés par des pots-de-vin des sidérurgistes français… Là, la foule des rues se fâche et le monarque se résoud donc à faire appel à l’inoxydable conservateur Antonio Maura Montaner (c’est la cinquième fois qu’il dirige le gouvernement). Devant les remous politiques créés par Anoual, ce vieux briscard de la politique renonce à son tour pour laisser la place à Garcia Prieto, un «libéral» de la même trempe et tout aussi représentatif du traditionnel caciquisme. Dans le gros de la population espagnole, la révolte gronde face à tous ces morts et à ces ridicules et sanglantes gesticulations militaires qui font tourner toujours plus vite ce manège des politiciens les plus éculés mais sans vergogne aucune. Les correspondants de la presse étrangère n’en peuvent plus d’expliquer à leurs journaux cette valse folle des gouvernements qui tourne au burlesque le plus complet pendant que le sang coule au Maroc. On rechante dans les rues de toutes les villes d’Espagne El Barranco del Lobo, l’hymne du désespoir de la Guerre de Melilla en 1909[11] dont les paroles sont encore bien connues dans l’Espagne d’aujourd’hui:

El Barranco del Lobo

En el Barranco del Lobo / hay una fuente que mana / sangre de los españoles / que murieron por la patria. / ¡Pobrecitas madres, / cuánto llorarán, / al ver que sus hijos / en la guerra están! / Ni me lavo ni me peino / ni me pongo la mantilla / hasta que venga mi novio / de la guerra de Melilla. / Melilla ya no es Melilla, / Melilla es un matadero / donde se matan los hombres / como si fueran corderos.

(Dans la Gorge du Loup / Il y a une fontaine qui verse / Le sang des Espagnols / Qui sont morts pour la patrie / Pauvres mères, / Comme elles pleurent / En sachant leurs fils / Partis pour la guerre! / Je ne me lave ni ne me peigne / Ni ne mets plus ma mantille / Tant que ne rentrera pas / Mon amoureux de la guerre de Melilla. / Melilla n’est plus Melilla / Melilla n’est plus qu’un abattoir / Où l’on tue nos hommes / Comme s’ils n’étaient que des moutons).


Une enquête…

Il est bien connu qu’il est d’usage de nommer une commission d’enquête pour espérer noyer dans les sables les vraies responsabilités. Cette vieille technique de gouvernement allait bien sûr être reprise par le ministère de Manuel Allendesalazar Muñoz de Salazar. En fait, c’est Damaso Berenguer Fusté, le Haut Commissaire espagnol au Maroc, arrivé d’urgence à Melilla après le choc de la lamentable déroute d’Anoual, qui la demande. Il sollicite aussitôt son ministère pour qu’on nomme un officier général afin d’entreprendre les investigations. Le Haut Commissaire voulait surtout doubler le Parlement qui risquait de nommer une commission de civils qui aurait vite débusqué les pratiques innommables de la clique militaro-aristocratique incapable de mettre en place une administration coloniale qui soit au moins vaguement comparable à celles des Français de Rabat. Pour Berenguer Fusté, l’horreur absolue eut été qu’un socialiste fut membre de cette commission parlementaire alors que le chef de file du PSOE bombarde les Cortés de questions orales et écrites sur l’affaire d’Anoual. Il fallait couvrir à tout prix feu le général Manuel Fernández Silvestre quelques fussent ses responsabilités pourtant si évidentes, mais surtout couvrir Alphonse XIII auquel ce dernier était si lié. Très vite, le ministre de la Guerre du moment, un certain vicomte de Eza que l’Histoire retiendra si peu qu’on n’en peut obtenir que de bien vagues renseignements, signait en catastrophe une décision royale dite Real Orden du 4 août 1921. On nommait bien un militaire, un général même, pas trop lié avec le clan aristocratique tout de même pour paraître faire bonne mesure. Le tout frais promu général de division Juan Picasso González en poste à Genève à la SDN, mais un ancien de Melilla qui sera sans doute compréhensif, fut donc désigné pour cette mission qui ne devait être, pensait-on, qu’une formalité. Celui-ci débarqua du vapeur de Malaga sur les quais de Melilla le jour de l’Assomption et commença son travail le 16 août, donc, dès le lendemain de son arrivée.


Le travail de Picasso

Rompu au travail de dossiers avec sa charge à la SDN, Picasso avait déjà sollicité du général Berenguer tous les plans d'opérations qui avaient guidé l'activité du général Silvestre et de ses troupes. Sitôt débarqué à Melilla il la lui fit parvenir. Le général Berenguer, inquiet de deviner que ces pièces montreraient immédiatement les responsabilités du Haut Commandement (concrètement, les siennes propres), transfère la demande de Picasso au Ministre de la Guerre le 20 août. Il en profite pour solliciter des instructions sur ce sujet et déclare surtout qu'il ne se sent pas autorisé à communiquer des informations qu’il pense être couvertes par le «secret défense».
Pressé par le Palais Royal et les hauts grades militaires africanistes, le ministre fait rédiger un nouvel Real Orden, celui du 24 août, qui expliquait expressis verbis au bon général Picasso que les accords, plans ou dispositions du Haut Commissaire resteraient hors du champs de ses recherches, et qu'il devait se limiter aux faits et gestes des officiers, fonctionnaires et hommes de troupe directement liés à la bataille d’Anoual pour dégager les responsabilités dans l’éventualité où ceux-ci n'auraient pas accompli leurs devoirs pour la Patrie. Picasso comprit aussitôt à quel jeu de rôle «on» comptait le cantonner. Il l’avait déjà vaguement deviné dès son arrivée sur les lieux, mais là, il en eut bien la certitude. Son séjour à Melilla ne sera pas confortable et il le sait.
Reçu le 28 août à Melilla le fameux Real Orden du 24, le général Picasso manifeste dans une lettre au ministre datée du 31 août son désaccord complet avec ce dernier Real Orden. Il déclare dans ce courrier qu’il lui revenait de poursuivre ses investigations sans excepter personne, y compris celles de plus hautes instances du commandement, sans quoi il lui serait impossible de déterminer les responsabilités face aux «sucesos incidentales, consecuencia natural y obligada de los errores y desaciertos del mando» (aux évènements survenus et leurs conséquences logiquement dues aux erreurs et aux failles du commandement). Il proposait même qu’on le relève de sa charge à la SDN (qui quintuplait sa solde espagnole comme général de division) pour bien montrer qu’il ne lâcherait pas. Picasso montrait là publiquement que contre vents et marées, il s’agripperait à Melilla et qu’il serait insensible à toutes pressions. D’où qu’elles viennent...
Picasso rédigeait, consultait, enquêtait, convoquait toutes les personnes physiquement présentes lors des événements militaires du Désastre d’Anoual et que les successifs Real Ordones lui laissaient encore interroger. Il classait tout en quatre rubriques dans des chemises où il avait successivement inscrit: «Morts», «Disparus», «Présents» et «Place» (sous entendu la place militaire de Melilla). Il rédigeait pour chaque soldat, sous-officier, officier ou fonctionnaire qui avait participé aux opérations une note qui, pour les deux dernières rubriques, contenait leurs dépositions. Si les notes étaient manuscrites, elles étaient aussitôt dactylographiées en double avec un carbone entre chaque feuillet introduit dans le rouleau de la machine. Le travail était aussi perlé que dans ses anciens bureaux suisses de la SDN. Pour qui connaît la culture du charmant désordre andalou, il y a de quoi rester pantois.


Le Rapport Picasso: sa réception

A la mi-janvier 1922, le général Picasso reprend le vapeur de Malaga. Le 23 janvier 1922, il est à Madrid. Dans ses bagages, le tout aussi précieux que volumineux dossier de 2 433 feuillets. L’ambiance de Madrid ne sera pas plus chaleureuse qu’à Melilla pour le général Picasso. Pour donner une idée de l’ambiance qui a cours au ministère de la Guerre ces jours là, il faut connaître l’identité du titulaire du portefeuille entre le 14 août 1921 et le 8 mars 1922: un certain Juan de la Cierva Peñafiel, un obscure politicien conservateur de Murcie qui avait eu du sa célébrité relative au système qui, depuis 1902 portait son nom, le ciervisme. Il s’agissait de mettre les campagnes méridionales espagnoles sous la coupe des seuls caciques par un système de clientélisme fort peu discret qui ne sera définitivement détruit qu’après l’instauration de la Seconde République…
De cette ambiance, Picasso n’en a cure et poursuit toujours aussi imperturbablement son travail. Il remet son rapport définitif le 18 avril 1922 au Congreso (la chambre des députés espagnole) accompagné cette fois-ci d’un Resumen, un texte d’analyse synthétique de ses investigations. L'opinion publique, tout comme le général Picasso lui-même d’ailleurs, soupçonnait bien que le rapport résultant du dossier finirait par se noyer dans les sables tandis que les véritables coupables continueraient à plastronner dans leurs uniformes étoilés. La caste militaro-aristocratique espagnole, corporatiste et élitiste, allait difficilement consentir à être directement menacée dans ses intérêts par un rapport de cette sorte.
Pour le Rapport Picasso, les choses se gâtent vite dans le dédale de la procédure. Le Congrès l’envoie au Conseil Suprême de la Guerre et de la Marine, qui à son tour le transfère, le 24 avril, au trésorier militaire. Après deux jours d'étude, le trésorier le restitue au Conseil Suprême en affirmant qu'il doit faire appel à une cour de justice militaire pour avoir trouvé dans ce dossier des éléments suffisamment condamnables pour enclencher le processus judiciaire… pour corroborer les témoignages qu’il contenait… et pour corriger des insuffisances de forme. Le Conseil Suprême constitué en Cour de Justice remet une copie du dossier au Ministre de la Guerre, incluant dans la masse des papiers le rapport remis par le trésorier militaire ainsi que des décisions prises par le même Conseil. Le Parlement espagnol, lui, constitue de son côté une Commission de Responsabilités, dite des «Dix-Neuf». Ecartelé entre une instance militaire et une instance parlementaire, le Rapport Picasso produisait des fuites dans la presse, les dîners en ville et l’opinion publique qui, elle, se scandalisait d’apprendre que les pertes d’Anoual étaient bien supérieures à celles des 13 000 morts annoncés par les autorités. Au Maroc, la Guerre du Rif prenait de l’ampleur et, tout cela, en 1923 alors qu’Abdelkrim proclamait le 1er juillet la République du Rif à Ajdir, à moins qu’une portée de canon d’Alhucemas.
La procédure traînant, le Rapport Picasso se transformait alors en scandale politique national sur un fond d’agitation sociale, de déconsidération brutale du roi et de son entourage tant civil que militaire, le tout encore doublé de la déconsidération générale du carrousel des gouvernements et des bruyantes empoignades au Parlement. En juillet 1923, on réunit une Seconde Commission des Responsabilités, formée de 21 députés qui devait émettre une résolution dans les vingt et un jours qui suivaient. C’est à ce moment que se rependit comme une traînée de poudre le bruit selon lequel le souverain lui-même était bien directement impliqué dans la défaite d’Anoual. Le bruit s’amplifia encore alors que Berenguer Fusté lui-même fut appelé à témoigner devant la dite Commission et qu’il se désista en arguant de sa propre condition de député…
En août 23, c’est la guerre ouverte entre les instances militaires et les instances parlementaires sur le Rapport Picasso. Le Parlement décidait alors de convoquer une séance plénière à la Chambre pour procéder à un vote des députés sur une affaire qui prenait franchement mauvaise tournure. La Chambre n’en eut pas le temps. A la tête d’un Directoire Militaire, le 13 septembre 1923, le général Miguel Primo de Rivera y Orbaneja, avec l’appui des militaires, des industriels et des milieux réactionnaires ou simplement conservateurs, procédait à un coup d’Etat qui mettait fin au dernier gouvernement légalement constitué de Garcia Prieto. Nommé aussitôt par Alphonse XIII Président du Gouvernement, Primo de Rivera suspendait la Constitution de 1876 en vigueur, le Parlement était dissout, la liberté de la presse suspendue, les partis politiques interdits, les syndicats pourchassés. La chape de plomb de la dictature s’abattait sur l’Espagne et le chef du nouveau gouvernement déclarait ouvertement s’inspirer de Benito Mussolini… Exit le Rapport Picasso.


La survie du Rapport Picasso mutilé

Il était évident que ce coup d’Etat servirait, entre autre, à étouffer le scandale du Rapport Picasso, à sauvegarder les intérêts de la clique militaro-aristocratique et son meilleurs garant, la monarchie d’Alphonse XIII de Bourbon Habsbourg-Lorraine. En France, le gouvernement assiste aux évènements avec un soulagement non dissimulé en raison des affaires marocaines. Lyautey avait cessé de plaire aux milieux d’affaires et Pétain, la plus haute instance militaire française du moment, est pressé de rencontrer Primo de Rivera pour liquider Abdelkrim dont l’expérience politique menace de faire tache d’huile dans le protectorat français. Pour les sidérurgistes français, Primo de Rivera était bien le seul qui, en Espagne, pouvait sauvegarder leurs intérêts miniers menacés autour de Melilla. La dictature espagnole arrangeait donc bien du monde à Paris. Quant à Londres, ses intérêts miniers sur la péninsule ibérique lui faisaient adopter une position semblable dans sa crainte d’un mouvement social revendicatif qui s’organisait en Espagne.
Sachant fort bien que ce dossier risquait fort d’être détruit, un parlementaire, Bernardo Mateo Sagasta, réussit à le subtiliser des Archives du Congrès des députés et à le dissimuler à l'École Spéciale des Ingénieurs Agronomes dont il était le directeur. Il y resta jusqu’à la proclamation de la Seconde République espagnole en 1931, période à laquelle il fut remis au Congrès. Sans doute déjà largement mutilé sur ordre de Berenguer Fusté avant que Mateo Sagasta ne le recueille, le Résumé de Picasso est publié cette même année 1931 avec les pièces des rapports de la Commission des Responsabilités de 1923 mais sans les pièces testimoniales qu’avait pu accumuler le général Juan Picasso González. Il redisparaît à nouveau après la Guerre Civile alors que le simple énoncé de son nom est hautement tabou sous Franco Bahamonde. La publication partielle qu’en avait pu faire le Congrès des députés fut saisie dans toutes les bibliothèques publiques ou les librairies qui le possédaient dès que les nationalistes occupaient une ville et ces types de recherches se poursuivirent pendant toutes les années 40 et 50. Systématiquement détruits, on peut considérer que tous les exemplaires existant de ce tirage déjà limité avaient disparu.
Le grand soupçonné par le Rapport Picasso qu’était Alphonse XIII, encore complètement compromis dans la dictature de Primo de Rivera y Orbaneja, fuyait en France dès la proclamation de la République. Dans le train vers Paris mis à la disposition des siens par le Quai d’Orsay, les témoins du départ du convoi affirment avoir vu charger d’innombrables mallettes contenant des papiers. De hauts fonctionnaires affirmèrent que parmi ces chargements, il y avait des pièces provenant des investigations de Picasso pillées lors du coup d’Etat de Primo de Rivera y Orbaneja.
En 1998, on retrouva une partie de l’Expediente Picasso aux archives du Congrès des députés. Le document avait sérieusement maigri puisqu’il y manquait certaines pièces identifiées par le procureur militaire qui l’avait reçut en juin 1922:
- dix pièces principales représentant un total de 2 148 feuillets
- l’annexe de 82 feuillets relatifs au régiment du Ceriñola nº 42
- une annexe de 203 feuillets contenant certaines dépositions recueillies par Picasso.
C’est sous cette forme largement mutilée qu’il est aujourd’hui consultable. En fait, la publication argentine de 1976 reprend le seul Resumen de Picasso que Diego Abad de Santillán avait pu consulter dans la publication de 1931 par le Congrès espagnol et qu’il avait fini par retrouver dans une bibliothèque universitaire de Droit public à Rosario en Argentine[12]. Quant à la publication espagnole de 2003, en un prologue d’à peine deux pages, elle ne cite pas même Diego Abad de Santillán, expédie en deux lignes les disparitions des pièces du rapport et renvoie au fond Fernández Silvestre de la Biblioteca Militar de la Comandancia Militar de Melilla ou à celui de l’Instituto de Historia y Cultura Militar à Madrid, fonds sur lesquels aucun historien espagnol n’a encore travaillé.
Enfin, on peut noter que le Resumen de Picasso avait été republié presque en catimini dès 2001 dans un ouvrage paru chez le même éditeur madrilène qui l’avait publié en 2003 sous le nom de «Resumen del Excmo. Sr General de División Don Juan Picasso González, del expediente entregado al Consejo Supremo de Guerra y Marina», mais cette fois-ci inclus dans un ouvrage relatif au quatre-vingtième anniversaire d’Anoual[13]. Il reprenait sans le dire la version de Diego Abad de Santillán.

Seul sera donc parvenu jusqu’à nous le résumé synthétique de Picasso González dépouillé de toutes les preuves testimoniales qu’il avait pu réunir pour l’étayer.



François Papet-Périn de Lévesque, le 7 novembre 2008









[1] Pennell (C. R.): «A country with a government and a flag. The Rif war in Morocco, 1921-1926», éd. Middle East and North African Studies Press, Cambridgeshire (England), 1986

[2] Preston (Paul): «Spain and the Great Powers in the Twentieth Century», éd. Routledge, London, 1999

[3] (Diego) Abad de Santillán: «El Expediente Picasso», Ed. Frente de Afirmación Hispanista, Buenos Aires, 1976

[4] L’origine du nom Picasso est italienne, le doublement d’une consonne étant inconnu en castillan exceptée la lettre ll qui forme une vingt huitième lettre de l’alphabet en usage en Espagne et se prononce comme ill- en français («l» mouillé). Les Espagnols l’auraient orthographié sinon Picaso. Il s’agit d’une famille originaire de la région de Gênes établie depuis le début du XIXe siècle à Malaga en Andalousie (cf.: Hernández Velasco (Irene): «El pueblo donde ser Picasso es muy común», El Mundo, Madrid, 4 mai 2008).
[5] Peirats Valls (José): «Los anarquistas en la crisis política española (1869-1939) », éd. Utopía Libertaria, Buenos Aires 2006, page 28.
[6] Peirats Valls ajoute là en note: «El general Silvestre se había comprometido a tomar Alhucemas el 21 de julio de 1921, dia de la festividad de Santiago “Matamoros” y fecha también del traslado de los restos del Cid a la catedral de Burgos» (Le général Silvestre s’était engagé à prendre Alhucemas le 21 juillet 1921, jour de la Saint Jacques «Matamoros» [le tueur de Maures qui est traduit en français par matamore] et date anniversaire aussi du transfert des restes du Cid à la cathédrale de Burgos).

[7] Avec des fusils très lourds et une artillerie hors d’âge, les soldats n’avaient pas de chaussures, mais de simples espadrilles elles-mêmes souvent en loques. Notons que pour moquer leurs colonisateurs qui faisaient figure de pauvres face à leurs compétiteurs français au Maroc, les Rifains les nommaient «les reprisés».

[8] Ces troubles étaient connus en Espagne sous le vocable de «Guerre de Melilla», une série d’actions militaires qui débutèrent par l’épisode du «Désastre de la Gorge du Loup» sur le volcan qui domine la ville de Melilla et qui occasionnait les plus graves troubles sociaux espagnols avant la Guerre Civile: la Semaine Tragique de Barcelone en 1909.

[9] Un ancien fonctionnaire espagnol à Melilla, fils d’un notable berbère qui prend la direction du soulèvement des tribus locales.

[10] Alvaro Figueroa y Torres-Mendieta, comte (depuis peu) de Romanones, latifundiaire, cacique, financier et industriel possédant des mines sur la Péninsule, très lié au capitalisme français, il fut à trois reprises chef du gouvernement sous le règne d’Alphonse XIII, en 1912-1913, 1915-1917, puis en 1918-1919. Par charité pour lui sans doute, les encyclopédies espagnoles taisent son très bref passage à la Présidence du Gouvernement en 1921. On retiendra d’abord de lui qu’il fut chef du gouvernement pendant la mise en place du Traité de Fez qui instaurait les protectorats franco-espagnols sur le Maroc. Il encore fut l’un des initiateurs de la Société des Mines du Rif qui fut si puissante à Melilla jusqu’à l’indépendance du Maroc. Romanones est un prototype de cette caste dirigeante qui engagea l’Etat espagnol dans l’aventure coloniale en Afrique du Nord pour accroître ses propres intérêts économiques en en faisant supporter le coût humain et matériel à la communauté nationale.

[11] Ce chant sera repris comme un des chants de guerre des plus représentatifs des républicains espagnols pendant la Guerre Civile au même titre que le célèbre ¡Hay Carmela! (repris, lui, d’un chant de 1808 contre les troupes bonapartistes d’occupation et qui fut popularisé en France par le film de Malraux L’Espoir).

[12] Quand Abad de Santillán publie son Resumen, le général Videla impose sa dictature argentine en renversant le régime déconsidéré de Eva Perón après une Guerra Sucia (Sale Guerre) qui fera 30 000 morts et entraînera l’exile de 140 000 Argentins, le tout avec tout le soutien du président Ronald Reagan.

[13] Palma Moreno (Juan Tomás): «Annual 1921 - 80 años del Desastre», éd. Almena ediciones, Madrid, 2001

La Mer d'Alboran

Il existe une région frontalière de l'Europe plus connue sous le nom de Détroit de Gibraltar qui, en fait s'étend géographiquement sur toute une zone beaucoup plus large que seul Détroit de Gibraltar géographique. C'est la Mer d'Alboran, le bassin le plus occidental de la Mer Méditerranée.

Sur cet espace, de petits territoires espagnols qui font partie, eux aussi de la Communauté Européenne. C'est d'eux dont il sera question ici. C'est aussi leur environnement maritime et leur environnement continental africain qui seront envisagés.

Ici seront présentées des pièces relatives à leur histoire et aux hommes qui les habitent.